28.
Hiérarchie
Revenu de son expédition sur Ralltiir, Maul était assis jambes croisées sur le sol du bâtiment de LiMerge pendant que Sidious le débriefait. Celui-ci venait d’avoir une conversation désagréable avec les Neimoidiens et il n’était pas d’humeur à plaisanter.
— Si j’en crois ton récit, mon Apprenti, il est presque dommage que personne n’ait survécu à ton massacre pour le raconter.
— Vous m’aviez donné l’ordre que personne ne survive, Maître.
— C’est exact, dit Sidious en continuant à tourner autour de lui. Et aucun d’eux n’a présenté de difficulté particulière ?
— Non, Maître.
— Pas Sinya ?
— J’ai décapité la Twi’lek.
— Pas Mighella ?
— Ma lame a coupé en deux la Sœur de la Nuit après qu’elle a essayé de me terrasser avec un éclair de Force.
Sidious s’arrêta un moment.
— Pas même Garyn ?
— Non.
Sidious détecta une note d’hésitation. Il insista :
— Non, quoi, Dark Maul ?
— Je l’ai noyé.
Sidious se toucha le menton et se planta dans le champ de vision du Zabrak.
— Eh bien, quelqu’un a bien dû te causer la blessure dont tu souffres à la main gauche. À moins que lu ne te la sois infligée toi-même, bien sûr.
— Il n’y a pas de douleur là où réside la puissance.
— Je ne t’ai pas demandé si la blessure était douloureuse. Je t’ai demandé qui l’avait causée.
— Garyn, répondit doucement Maul.
Sidious feignit la surprise.
— Il a donc posé problème. Étant donné qu’il est légèrement sensible à la Force...
— Il n’était rien comparé à la puissance du Côté Obscur.
Sidious l’examina.
— Le lui as-tu dit, mon Apprenti ? Réponds honnêtement.
— Il est arrivé à la conclusion.
— Il t’a identifié comme Sith. A-t-il alors supposé que tu étais un Seigneur Sith ?
Maul fixa le sol.
— Je...
— Tu as révélé que tu répondais à un Maître. Ai-je raison ?
Maul se força à répondre.
— Oui, Maître.
— Et peut-être es-tu allé jusqu’à dire quelque chose au sujet de la vengeance des Sith ?
— Effectivement, Maître.
Sidious s’approcha de lui, le visage déformé par la rage.
— Et si par miracle Garyn avait réussi à s’échapper ou même s’il avait vaincu l’armée composée d’un seul individu qu’est Dark Maul, à quelles répercussions devrions-nous faire face, Apprenti ?
— J’implore votre pardon, Maître.
— Tu n’es peut-être pas digne de l’Infiltrator, après tout. Le leader du Soleil Noir a profité du moment où tu étais distrait pour te couper la main.
Maul garda le silence.
— J’espère que tu l’as remercié avant de le tuer, poursuivit Sidious, car il t’a appris une bonne leçon. Quand on affronte quelqu’un qui est puissant dans la Force, il faut rester concentré – même quand on est persuadé que l’opposant n’est plus en mesure de se battre. Ce n’est pas le moment de se féliciter de la victoire qu’on vient de remporter ou de faire durer l’affrontement. Il faut frapper le coup mortel et en finir. Réserve ton autocongratulation pour après, sinon tu subiras bien plus qu’une blessure à la main.
— Je m’en souviendrai, Maître.
Le silence s’atténua.
— Je veux que tu quittes Coruscant pour le moment.
Maul leva les yeux vers lui, inquiet.
— Prends l’Infiltrator et tes droïdes de combat, puis rejoins ton ancienne maison. Là, entraîne-toi et médite jusqu’à ce que je t’appelle.
— Mon Maître, je vous en prie...
Sidious leva les mains.
— Cela suffit ! Tu as bien exécuté la mission et je suis content. Maintenant, apprends de ton erreur.
Maul se leva lentement, inclina la tête et se dirigea vers le hangar.
Sidious le regarda partir en s’interrogeant sur la nature de son malaise.
Aurait-il, dans la même situation, cédé à l’envie de jubiler et de révéler sa véritable identité ?
Plagueis l’avait-il fait avant de tuer Veruna ? S’était-il senti obligé de sortir de derrière son masque ? D’être honnête ?
Ou la révélation de Maul à Garyn n’était-elle rien de plus qu’un signe que le Côté Obscur s’impatientait et qu’il souhaitait bientôt une révélation totale ?
— Le Soleil Noir est dans le chaos le plus complet, dit Palpatine à Hego Damask alors qu’ils se promenaient parmi les touristes massés sur la place des Monuments.
Des centaines de curieux étaient agglutinés autour du sommet d’Umate, qui s’élevait depuis le centre du parc, tandis que d’autres groupes d’espèces variées suivaient des guides touristiques vers l’agora de l’ancien Sénat ou le Musée galactique.
— Le Prince Xizor et Sise Fromm hériteront des déchets.
— Le Zabrak a une fois de plus prouvé sa valeur, remarqua Damask. Vous l’avez bien formé.
— Peut-être pas assez bien, reprit Palpatine au bout d’un moment. Alors que je l’interrogeais au sujet d’une blessure qu’il a reçue, il a avoué avoir divulgué son identité à Alexi Garyn.
Damask détourna son visage masqué de Palpatine et dit :
— Garyn est mort. Quelle importance est-ce que cela peut avoir, désormais ?
Le ton désinvolte du Muun irrita un peu plus Palpatine mais il garda sa contenance.
— C’est peut-être la dernière fois que je peux apparaître en public sans une escorte armée, dit-il d’un air détaché. Quand la Reine Amidala m’a appris la mort inattendue de Veruna, elle a précisé que son nouveau chef de la sécurité – un homme qui s’appelle Panaka – prendrait des mesures sans précédent pour assurer la sécurité de tous les diplomates de Naboo. La Reine, par exemple, sera entourée d’une cour de dames de compagnie, qui lui ressemblent toutes dans une certaine mesure.
— Et vous seriez escorté en permanence ? demanda Damask. Ce n’est pas possible.
— Je convaincrai Panaka de changer d’avis.
Ils s’arrêtèrent pour observer un groupe d’enfants qui jouaient sous l’une des banderoles de la place. Plagueis indiqua un banc tout proche mais Palpatine était trop agité pour s’asseoir.
— La Reine a-t-elle exprimé une inquiétude au sujet du nombre de transports de la Fédération du Commerce rassemblés autour de Naboo ?
Palpatine fit non de la tête.
— La flotte est postée à la limite du système, elle attend que j’ordonne le saut vers Naboo. Même si Gunray est furieux suite au vote de la taxation, j’ai dû le convaincre que Naboo est assez importante pour attirer l’intérêt galactique sur le blocus. Je l’ai assuré qu’Amidala ne laisserait pas son peuple souffrir et que, d’ici un mois tout au plus, elle aurait signé un traité qui fera de Naboo et de son plasma la propriété de la Fédération du Commerce.
Le masque de Hego Damask dissimulait son visage mais il était clair que ces paroles lui avaient fait plaisir.
— Pendant que Valorum tergiverse, le Sénateur Palpatine récolte la sympathie de l’électorat, dit-il en regardant Palpatine. N’est-ce pas la preuve de notre réussite que nous puissions attribuer des planètes comme s’il s’agissait de simples contrats d’affaires ?
Des Twi’leks vêtus de vêtements raffinés reconnurent Palpatine et le regardèrent bouche bée... Le fait qu’il fraternise ouvertement avec un Muun donnait une idée du pouvoir et de l’influence des deux individus.
Damask avait insisté sur l’importance d’être vus ensemble en public et, pour concrétiser cette décision, depuis que le Muun était arrivé sur Coruscant quelques semaines plus tôt, ils avaient dîné plusieurs fois au Manarai et dans d’autres restaurants chic. Ils avaient également assisté à des représentations à l’Opéra de Coruscant et à l’Opéra des Galaxies. Plus récemment, ils avaient pris part à une réunion organisée au 500 Republica par le Sénateur Orn Free Taa. Là, Plagueis avait surpris le Twi’lek Rutian en train d’évoquer la meilleure manière de nommer Palpatine Chancelier. Le prochain événement dans leur agenda chargé était un rassemblement politique qui devait se tenir sur la station orbitale perlémienne de Coruscant, où les candidats potentiels au poste de Chancelier Suprême auraient l’occasion de rencontrer des chefs d’entreprise, des lobbyistes, des militants et même quelques Maîtres Jedi.
— La Fédération du Commerce ne risque pas de gagner de nouveaux alliés avec un blocus suivi d’une invasion, disait Damask. Mais, à tout le moins, nous aurons l’occasion d’évaluer la performance de l’armée de droïdes de Gunray. Nous pourrons ensuite faire les ajustements nécessaires.
— À cause de leur négligence, les Neimoidiens ont réussi à mettre en danger leurs fonderies secrètes sur Eos et Alaris Prime, dit Palpatine en laissant transpercer son exaspération.
Damask le dévisagea :
— Pour le moment, ils ont tout ce dont ils ont besoin. L’invasion de Naboo montrera les limites de la diplomatie et forcera les Jedi à réagir.
Il garda son regard fixé sur Palpatine et ajouta :
— En préparation de la guerre, nous déménagerons Baktoid Armor sur Géonosis. Mais nous ne devons en aucun cas fournir suffisamment d’armes à nos alliés pour garantir une victoire rapide. Un conflit qui s’éternise épuisera la galaxie. Elle sera alors prête à nous suivre.
Palpatine s’assit enfin.
— Nous devons tout de même lever une armée que les Jedi commanderont. Mais une armée qui, au final, restera sous les ordres du Chancelier Suprême.
— Une armée de clones pourrait être conçue exactement dans ce but, dit Damask.
Palpatine réfléchit à la question.
— Cela paraît trop simple, répondit-il. Il n’est pas facile de prendre les Jedi par surprise. S’ils se préparent au conflit, ils seront encore plus difficiles à piéger.
— À la fin d’une longue guerre, peut-être ? Lorsque la victoire sera en vue ?
— Pour y parvenir, il faudrait contrôler les deux parties, soupira Palpatine. Même si nous pouvions lancer une attaque surprise, tous les Jedi ne seraient pas sur le champ de bataille.
— Nous devrions nous soucier uniquement de ceux qui sont aptes au combat, conclut Damask.
Palpatine interrompit un long silence :
— Les cloneurs Kaminoans vous ont déjà déçu.
Damask acquiesça de la tête.
— Parce que je leur avais fourni un modèle Yinchorri. Ils m’ont expliqué que votre espèce serait plus facile à reproduire.
— Vous allez les recontacter ?
— Il ne peut y avoir aucun lien entre cette armée et nous. Mais je sais qui je pourrais persuader de passer la première commande.
Palpatine attendit mais Damask n’avait rien à ajouter. Palpatine était consterné que la conversation s’arrête ainsi. Il se leva brusquement et s’éloigna du banc.
— Ordonnez aux Neimoidiens de lancer le blocus, cria Damask dans son dos. Il est important de mettre les événements en marche avant l’ouverture du congrès sur la station orbitale.
Comme Palpatine ne répondait pas, Plagueis se leva et le suivit.
— Qu’est-ce qui vous tracasse, Sidious ? Vous avez peut-être l’impression de ne plus être qu’un simple messager ?
Palpatine fit volte-face.
— Oui, parfois. Mais je connais ma place et j’en suis satisfait.
— Alors qu’est-ce qui vous fait bouillonner ?
— Les Neimoidiens, dit Palpatine avec une conviction soudaine. En plus de Gunray, j’ai eu affaire à trois autres : Haako, Daultay et Monchar.
— Je connais un peu Monchar, remarqua Damask. Il possède un appartement dans les Flèches de Kaldani.
— Il était absent la dernière fois que j’ai parlé à Gunray, répondit Palpatine.
Le soupçon prit naissance dans les yeux du Muun :
— Où étaient-ils alors ?
— À bord de leur vaisseau de contrôle. Gunray m’a prétendu que Monchar avait mal digéré un plantureux repas.
— Mais vous savez que c’est faux. Palpatine hocha la tête.
— Ce flagorneur pleurnichard est au courant du blocus, ajouta-t-il. Je le soupçonne d’avoir pris la fuite et de vouloir tirer profit de cette information.
Les yeux de Damask lancèrent des éclairs jaunes.
— Voilà ce qui arrive quand des individus sont promus à leur niveau d’incompétence !
Palpatine se tendit de colère.
— Pas vous, s’empressa de préciser Damask. Je parle de Gunray et de ses congénères ! La Force nous tourmente et nous pénalise parce que nous complotons avec des êtres trop ignorants pour apprécier et exécuter nos plans !
Palpatine trouva réconfortant que même Plagueis ait ses limites.
— Je n’ai pas tenu compte de ce que vous m’aviez dit au sujet des revers soudains.
Damask fronça les sourcils puis se détendit aussitôt.
— Il m’arrive d’ignorer mes propres conseils, confessa-t-il. Le blocus devra attendre.
— Je vais faire revenir Maul, conclut Palpatine.
Deux semaines après la disparition de Hath Monchar du vaisseau de contrôle Saak’ak, Plagueis et Sidious apprirent que Dark Maul était parvenu à retrouver la trace du Neimoidien et à le tuer – provoquant au passage d’importants dommages collatéraux. Maul venait de piloter l’Infïltrator invisible jusqu’à une station d’amarrage de la station orbitale perlémienne. Elle était reliée au dôme de réception par une série de sas de décompression zéro gravité. La salle de réception était un vaste espace clos avec vue sur une partie de Coruscant et le ciel étoile au-dessus. On avait l’impression de se trouver dans un jardin suspendu dans l’espace. Le dôme était rempli de Sénateurs, de juges, de chefs d’entreprise, d’Ambassadeurs, de négociateurs influents, de gourous des médias, ainsi que de contingents de Gardes du Sénat et de Jedi.
— Pourquoi lui avez-vous ordonné de venir ici, précisément ? demanda Damask à Palpatine en profitant d’une pause entre les poignées de main, les conversations informelles et la convivialité forcée.
Vêtus de leurs plus belles robes, ils tournaient le dos à une chute d’eau rétro-éclairée et saluaient de la tête les individus qui passaient, tout en continuant à conspirer.
— Il s’est frayé un chemin de destruction à travers le Couloir Pourpre, reprit Damask. Il a tué deux Jedi et des individus d’une dizaine d’espèces, y compris un Hutt. On est sans doute à sa recherche – peut-être pas des Jedi, mais des représentants des forces de l’ordre à coup sûr. Si par hasard, il se faisait arrêter, il a le pouvoir d’embrouiller l’esprit d’individus ordinaires mais il ne peut se cacher d’un Jedi. Notre existence et nos stratégies en vue d’imposer le blocus pourraient alors être menacées.
— Les Jedi étaient à sa recherche, expliqua Palpatine. C’est précisément pour cela que je lui ai ordonné de quitter la planète.
Damask hésita un instant avant de reprendre :
— Est-il en possession de l’holocron enregistré par Monchar ?
Palpatine hocha la tête.
— J’ai demandé à Pestage de libérer un passage au niveau d’un quai d’amarrage rarement utilisé. Je dois juste rencontrer Maul à l’endroit et l’heure prévus.
Damask n’était toujours pas convaincu. L’affaire Monchar avait failli tourner à la catastrophe. C’était comme si la Force, souvent comparée à un courant, avait été détournée vers un canyon à pic et s’était entortillée sur elle-même pour générer des tourbillons et des remous.
— Pourquoi ne pas lui avoir demandé de donner le cristal à Pestage ? demanda-t-il enfin.
— Nous ne savons pas quelles autres données sensibles peuvent être contenues dans l’holocron.
Damask poussa un profond soupir à travers son masque :
— J’espère au moins que vous lui avez recommandé de ne pas se faire voir.
Il jeta un coup d’œil autour de lui.
— Un Zabrak tatoué et vêtu de noir des pieds à la tête ne passerait pas inaperçu parmi les invités.
Palpatine ne pouvait le contredire. Le Sénateur Bail Antilles et ses aides se tenaient à quelques pas à peine. Antilles était Prince sur sa planète natale d’Alderaan et présidait le Comité des Affaires internes du Sénat. Le bel homme aux cheveux noirs était entouré d’un groupe où figuraient des Sénateurs de planètes du Noyau et des individus du monde des affaires, qui lui avaient tous promis leur soutien aux prochaines élections. À ses côtés se trouvait aussi le Maître Jedi Jorus C’baoth. On avait fait appel à lui pour arbitrer un conflit entre plusieurs maisons royales d’Alderaan. C’baoth était un humain arrogant au regard fou. Il était taillé du même bois que Dooku, dont l’absence à ce rassemblement politique était très remarquée. Les Sith avaient manipulé Antilles pour révéler les malversations de Valorum pendant la crise d’Eriadu, mais la notoriété qu’il avait acquise – tant au Sénat qu’auprès des médias – avait donné un coup de pouce à sa campagne et avait fait de lui le candidat favori actuel pour le poste de Chancelier.
Aucun Jedi ne s’était attaché à Ainlee Teem, qui se trouvait également dans leur champ de vision. Mais le Gran de Malastare était très populaire sur de nombreuses planètes des Bordures Médiane et Extérieure et jouissait du soutien du Sénateur Lott Dod de la Fédération du Commerce et de Shu Mai de la Guilde du Commerce.
Au centre de la coupole se tenaient Valorum et Sei Taria, qui était aussi jolie que douée pour mettre les médias dans sa poche. Valorum ne pouvait se représenter au poste de Chancelier car il avait récemment été déchu d’une partie de ses pouvoirs sénatoriaux et passait pas mal de temps à se défendre d’accusations portées par le Comité d’éthique. Et pourtant, à ce rassemblement, il avait réussi à se trouver au centre de l’attention en s’affichant aux côtés des Maîtres Yoda, Mace Windu et Adi Gallia, qui faisaient partie de ses partisans. Par leur simple présence dans l’entourage du Chancelier Suprême, les Jedi signalaient qu’ils continueraient à le soutenir pendant le reste de son mandat, malgré son prétendu enrichissement illégal.
Comme la flotte de la Fédération du Commerce était toujours en attente dans le Secteur Chommell et qu’aucune planète n’était assiégée pour le moment, il manquait à Palpatine un moteur pour générer de la sympathie et du soutien pour sa nomination. Il aurait pu passer pour un candidat parmi tant d’autres s’il ne s’était trouvé en compagnie de Hego Damask, de San Hill, le co-Président du Clan Bancaire, de Mas Amedda, qui venait d’être nommé Vice-Président du Sénat, et du Sénateur Orn Free Taa, suspecté de corruption par Antilles qui menait un enquête à son sujet et mis au ban par la faction de la Bordure pour son soutien à Palpatine.
— L’heure tourne, dit Palpatine tout en indiquant une zone plantée d’arbres nains et de buissons, près de l’endroit où Ainlee Teem s’entretenait avec une poignée de Sénateurs. Je vais échanger quelques blagues avec le Gran puis je trouverai un prétexte pour prendre congé.
Damask émit un grognement évasif.
— Ma cible est en vue de toute façon.
Ils se séparèrent sans échanger un mot de plus. Damask se fraya un chemin à travers la foule en direction d’un Jedi humain barbu au visage morose qui se tenait à l’écart de l’assemblée et observait la scène.
— Maître Sifo-Dyas, appela-t-il.
Le Jedi qui avait les cheveux tirés en chignon au sommet de la tête le reconnut et le salua en souriant.
— Magister Damask.
— J’espère que je ne vous dérange pas. Sifo-Dyas fit signe que non, les yeux rivés sur le masque respiratoire du Muun.
— Pas du tout, j’étais...
Il soupira et recommença à nouveau après avoir ajusté son regard.
— Jusqu’à votre retour récent sur Coruscant, je pensais que vous vous étiez retiré des affaires.
Damask poussa un soupir théâtral.
— Les Muuns n’ont pas la retraite dans le sang. Je ne travaille plus qu’avec quelques clients puissants mais très discrets.
Le Jedi leva un sourcil grisonnant.
— J’ai l’impression qu’on vous voit pourtant dans toutes les holonews aux côtés du Sénateur Palpatine. Et il est tout sauf discret.
— À mon avis, il est le seul capable de tirer la République du gouffre.
Sifo-Dyas émit un grognement.
— Ne jamais avoir été touché par un scandale en vingt ans est extraordinaire en soi. Vous avez peut-être raison.
Damask attendit un moment avant de dire :
— Je n’ai jamais oublié notre discussion sur Serenno.
— À quelle discussion faites-vous allusion, Magister ?
— Nous avons longuement parlé des menaces qui pesaient sur la République, déjà à cette époque.
Sifo-Dyas se fit pensif.
— Je m’en souviens vaguement.
— Eh bien, avec tous ces assassinats, la taxation des zones de libre-échange, le cabotinage de la Fédération du Commerce et les accusations de malversations politiques, cette conversation m’est souvent revenue à l’esprit, ces derniers temps. L’insubordination, les factions dressées les unes contre les autres, les conflits intersystèmes... Même dans cette salle, les Jedi semblent divisés dans leur loyauté. Maître C’baoth ici, Maîtres Yoda et Gallia là, et toujours pas trace de Maître Dooku.
Sifo-Dyas ne répondit rien.
— Maître Jedi, je voudrais partager avec vous un soupçon que je porte comme un fardeau.
Damask fit une pause.
— J’ai des raisons de soupçonner que la Fédération du Commerce s’est procuré en secret bien plus d’armes qu’on ne l’imagine.
Le front de Sifo-Dyas se plissa :
— En avez-vous la preuve ?
— Pas de preuve concrète. Mais mon métier exige une connaissance approfondie des marchés d’investissement. De plus, mes clients me révèlent parfois de très précieuses informations, en privé.
— Alors vous faites une entorse à la confidentialité en m’en parlant.
— C’est exact, mais c’est parce que je suis convaincu qu’il n’y a pas de fumée sans feu. J’irais même plus loin : je pense qu’une guerre civile se prépare. La République ne tiendra pas plus de quinze ans. Bientôt, nous verrons des systèmes stellaires frustrés faire sécession. Il ne manquera qu’un leader fort et charismatique pour les unir.
Il se tut brièvement avant d’ajouter :
— Je vais être franc avec vous, Maître Sifo-Dyas : la République devient vulnérable. Les Jedi ne seront pas assez nombreux pour inverser le cours des choses. Il faut créer une armée maintenant, tant que c’est encore possible.
Sifo-Dyas croisa les bras sur sa poitrine.
— Je vous invite à partager vos idées avec le Chancelier Suprême Valorum ou même avec le Sénateur Palpatine, Magister.
— J’en ai bien l’intention. Mais, même sous la surveillance du Chancelier Valorum, ce Sénat n’abrogera pas les réformes. Trop de Sénateurs ont un intérêt financier à ce qu’une guerre galactique soit déclarée. Ils ont investi lourdement dans des sociétés qui engrangeront des profits colossaux avec la vente d’armes et la reconstruction. La guerre fera beaucoup de bien à une économie qu’ils considèrent stagnante.
— Seriez-vous prêt à réitérer ces propos devant un Comité d’enquête ?
Damask fronça les sourcils.
— Vous devez comprendre que ces sociétés sont détenues et gérées par mes clients.
Le visage du Jedi s’assombrit.
— Vous avez lu dans mes pensées, Magister. Moi aussi j’ai senti qu’une guerre était imminente. Je l’ai dit à Maître Yoda et à d’autres mais sans réussir à les convaincre. Ils semblent indifférents. Ou inquiets. Je ne sais plus trop.
— Maître Dooku aussi ?
Sifo-Dyas fit la moue.
— Malheureusement, Magister, les déclarations récentes de Dooku au sujet de la discorde de la République et de la « suffisance » de notre Ordre n’ont fait qu’ajouter à mon inquiétude.
— Vous disiez que vous aviez un vague souvenir de notre conversation sur Serenno. Vous souvenez-vous que j’ai mentionné un groupe de cloneurs talentueux ?
— Je suis désolé, je ne m’en souviens pas.
— Ils sont natifs d’une planète extragalactique appelée Kamino. J’ai eu l’occasion de traiter avec eux pour le compte de clients qui désiraient acquérir des créatures clonées ou qui avaient besoin de main-d’œuvre clonée pour travailler dans un environnement hostile.
Le Jedi secoua la tête pour manifester son incompréhension.
— Quel est le rapport ?
— Je pense que l’on pourrait demander aux Kaminoans de créer et de former une armée de clones.
Sifo-Dyas mit un long moment avant de répondre.
— Vous avez dit vous-même que la République n’approuverait jamais la mise sur pied d’une armée.
— La République n’aurait pas besoin d’être au courant, avança prudemment Damask. L’Ordre Jedi non plus. Cette armée ne serait peut-être jamais utilisée mais elle resterait disponible en réserve, si jamais le besoin s’en faisait sentir.
— Qui serait assez fou pour financer une armée qui ne servirait sans doute pas ?
— Moi, répondit Damask. Et certains de mes associés du Clan Bancaire – avec l’appui de très bons contacts au sein de l’Ingénierie Lourde de Rothana, qui fournirait les vaisseaux, les armements et le reste du matériel.
Sifo-Dyas le regarda fixement.
— Venez-en au fait, Magister.
— Les Kaminoans ne créeraient pas une armée pour moi mais ils le feraient pour l’Ordre Jedi. Ils sont fascinés par les Jedi depuis des millénaires.
Les yeux marron de Sifo-Dyas s’écarquillèrent.
— Vous ne proposez pas de cloner des Jedi...
— Non. On m’a expliqué que c’était impossible, de toute façon. Mais on m’a aussi assuré qu’une armée humaine d’un million d’hommes pouvait être mise sur pied en dix ans à peine.
— Vous suggérez que je contourne le Haut Conseil ?
— Oui. Les Kaminoans demanderont juste une avance financière modeste, que je pourrais vous faire parvenir via des comptes indétectables que je possède dans des banques de la Bordure Extérieure.
Le Jedi garda à nouveau le silence pendant un long moment.
— J’ai besoin de temps pour réfléchir.
— Bien sûr, répondit Damask. Quand vous aurez pris une décision, vous pourrez me contacter à ma résidence, sur Coruscant.
Sifo-Dyas hocha la tête d’un air morose. Damask tourna les talons et disparut dans la foule. Palpatine était de retour dans la salle de réception, et ses yeux et ses mouvements laissaient deviner une excitation inhabituelle.
— Vous avez l’holocron ? lui demanda Damask en approchant.
— Oui, mais ce n’est pas Maul qui me l’a donné.
Damask attendit une explication.
— Il m’a été remis par l’informateur que Maul avait poursuivi et croyait mort : Lorn Pavan. Sa main droite avait été proprement et récemment amputée, j’ai donc tout de suite compris qu’ils s’étaient battus tous les deux dans l’un des sas de décompression.
— Ce Pavan a battu Maul ?
Palpatine fit non de la tête.
— Mais j’imagine que Pavan a réussi à se montrer plus malin et à le prendre par surprise.
— Incroyable, remarqua Damask, stupéfait que les événements puissent encore se compliquer. Alors Pavan doit savoir ce que contient l’holocron.
— Je suis censé le remettre aux Jedi, expliqua Palpatine, visiblement amusé.
Il regarda autour de lui avant d’ajouter :
— À Yoda peut-être ou à Windu...
— Pavan, le coupa sèchement Damask.
Palpatine haussa les épaules.
— Pestage et Doriana l’escortent jusqu’à la surface, où il recevra des soins médicaux, peut-être même une nouvelle main et une suite confortable dans un hôtel où il passera le dernier jour de sa vie.
— Un trophée que nous devrions cacher à Maul mais nous ne le ferons probablement pas, fit Damask en dévisageant Palpatine. De toute façon, ce n’est pas Pavan qui vous a remis l’holocron, c’est le Côté Obscur.
Palpatine réfléchit un moment à cette déclaration.
— Et Sifo-Dyas ? Il est d’accord ?
— Même s’il décide de s’opposer au projet, il y a peut-être moyen de passer commande en son nom. Mais la Force me dit qu’il donnera son accord.
— Cela le rendra potentiellement dangereux pour nous.
Damask acquiesça.
— Mais cela n’aura pas d’importance. Nous sommes invincibles désormais.
Cela ne me conviendra jamais, pensait Palpatine. Il était assis face au Chancelier Suprême Valorum dans son bureau, tout en haut du vertigineux bâtiment du Sénat. Il l’écoutait s’étendre sur les ennuis qu’il rencontrait avec le Comité d’éthique. La vue offerte par les grandes fenêtres triangulaires était plutôt agréable mais le bureau paraissait trop petit. On aurait dit le vestige d’une époque révolue plutôt que le centre névralgique de l’Ordre Nouveau. Une rénovation complète ne suffirait pas à en faire l’espace de travail dont Palpatine rêvait. Peut-être faudrait-il un nouveau bâtiment, une sorte d’annexé ou, mieux encore, un nouvel immeuble de bureaux de représentation – ne fût-ce que pour donner à ceux qui y travailleraient sous ses ordres l’illusion que leurs efforts pitoyables comptaient...
— Plus mes avocats et mes comptables se penchent sur cette affaire, plus ils s’embourbent, disait Valorum.
Des ronds noirs soulignaient ses yeux et ses mains tremblaient légèrement.
— Les lingots d’aurodium que le Front Nebula a volés à bord du transport de la Fédération du Commerce ont été convertis en crédits, ajouta-t-il. Ils ont permis de financer leurs opérations sur Asmeru et Eriadu. Mais les lingots eux-mêmes ont transité par une série de banques douteuses et diverses institutions financières avant d’être finalement investis dans Valorum Transport par des commanditaires inconnus. Je dis « inconnus » parce que les noms qui apparaissent dans la liste des investisseurs semblent ne jamais avoir existé.
— Déroutant, dit Palpatine en traînant sur le mot. Je ne sais que penser.
Une semaine s’était écoulée depuis le rassemblement politique sur la station perlémienne. Lorn Pavan avait été tué par le sabre laser de Maul, la veille de l’opération qui devait greffer une main artificielle sur son moignon. Compression des coûts, avait alors fait remarquer Plagueis.
Valorum se prit la tête dans les mains.
— Je suis certain qu’un individu ou une organisation cherche à me nuire avec toutes ces manœuvres. Mais dans quel but quelqu’un – même mes détracteurs les plus acharnés au Sénat – dépenserait-il des dizaines de millions de crédits dans ce but, alors que mon mandat s’achève dans quelques mois ? C’est inexplicable.
Il leva les yeux vers Palpatine :
— Mes prédécesseurs avaient de l’audace et savaient comment gérer le Sénat. Je pensais apporter quelque chose de différent à la fonction : une diplomatie plus tranquille, avec l’aide de la Force et les idéaux de l’Ordre Jedi comme guides.
Palpatine réprima une envie de sauter par-dessus le bureau et de l’étrangler.
— Je comprends que j’ai pris quelques mauvaises décisions. Mais est-ce qu’un Chancelier a jamais dû faire face à plus d’épreuves que moi au cours de son mandat ? Est-ce qu’un Chancelier a dû traiter avec un Sénat plus corrompu et plus gourmand ou avec des sociétés aussi mégalomanes ?
Valorum ferma les yeux et soupira.
— Celui qui est derrière cette machination veut tout simplement détruire tout ce que j’ai accompli, il veut que le nom Valorum reste inscrit dans l’histoire comme une tache...
— Alors nous devons redoubler d’efforts pour vous innocenter, répondit Palpatine.
Valorum eut un rire peu naturel.
— Si nous n’y parvenons pas, je ne suis plus d’aucune utilité pour la République. Jusqu’à ce que cette affaire soit tirée au clair, je n’ai plus le droit de faire appel aux Jedi ou aux Judiciaires pour qu’ils interviennent dans des conflits. Je n’ai plus le droit de convoquer de sessions spéciales sans l’autorisation de ce nouveau Vice-Chancelier, Mas Amedda, qui bloque toutes les propositions et vénère les procédures comme s’il s’agissait d’écritures saintes.
— La bureaucratie entraîne toujours la déception, observa Palpatine.
Valorum garda le silence un moment et adopta une expression déterminée.
— Je ne manque pas d’idées.
Il toucha un écran tactile encastré dans son bureau et un large écran d’affichage de données apparut au-dessus de l’holoprojecteur. Il se leva de sa chaise et indiqua un graphique reprenant le nom de dizaines de grandes entreprises.
— On pourrait croire – à la lumière des accusations rassemblées contre moi – que les intérêts de ma famille sur Eriadu perdraient de leur valeur si le marché baissait. Mais c’est exactement l’inverse qui se produit. Les crédits affluent à Valorum Transport à une allure sans précédent. Et la même chose se produit pour plusieurs autres sociétés de transport – dont beaucoup se situent dans la Bordure Extérieure. Et ce n’est pas tout.
Ses mains frôlèrent l’écran tactile et un second graphique prit forme à côté du premier.
— Les investissements dans de petits fournisseurs de plasma et dans des conglomérats d’énergie alternative ont été multipliés par trois. Mais le plus important, c’est ce boom dans le secteur de la fourniture militaire, avec l’étonnante croissance des Ateliers d’armement baktoide, des Ingénieries Haor Chall, de la Ruche de Création Colicoïde et d’autres fournisseurs de ce type.
Palpatine fut impressionné malgré lui.
— Que doit-on déduire de ces données ?
— Qu’un complot financier se déroule sous notre nez. Que même le scandale auquel je suis mêlé fait peut-être partie d’un plan plus large.
Palpatine s’apprêtait à répondre quand la voix de la secrétaire personnelle de Valorum l’interrompit via l’intercom.
— Chancelier Suprême, je suis désolée de vous interrompre mais nous avons reçu une transmission urgente de la Reine Amidala, de Naboo.
— La Reine ! s’exclama Palpatine avec une surprise feinte.
— Pouvez-vous transférer la transmission dans mon bureau ? demanda Valorum.
— Nos techniciens comm me disent que le signal est très faible mais qu’ils feront de leur mieux.
Palpatine et Valorum se tournèrent vers la table d’holoprojection du bureau et attendirent en silence. Au bout d’un moment, une image 3D bruyante et changeante prit forme. On reconnaissait le teint pâle de la reine adolescente de Naboo.
— Chancelier Suprême Valorum, dit-elle. Nous devons vous informer d’un événement grave sur notre planète. Sans prévenir, la faction neimoidienne de la Fédération du Commerce a imposé un blocus. Leurs immenses transports encerclent notre planète et nos vaisseaux ne peuvent ni arriver ni partir.
Palpatine et Valorum échangèrent des regards stupéfaits.
Elle joue son rôle à merveille, pensa Palpatine. Assise sur son trône comme une poupée animatronique costumée et trop maquillée. Son port royal, sa voix posée, son conseiller à longue barbe, Sio Bibble, d’un côté, et son chef de la sécurité au teint mat, Panaka, de l’autre...
— Votre Majesté, les Neimoidiens ont-ils exprimé leurs exigences ? demanda Valorum alors que l’image bleutée vacillait, se stabilisait puis vacillait à nouveau.
— Le Vice-Roi Gunray a déclaré que le blocus est mis en place pour protester contre la décision du Sénat de taxer le transport dans les zones de libre-échange. Il assure que toute tentative de briser l’embargo se heurtera à des frappes meurtrières. Si les nouvelles réglementations ne sont pas abrogées, il est prêt à laisser mourir de faim toute la population de Naboo.
Valorum serra les poings.
— Votre Majesté, le Sénateur Palpatine est ici avec moi.
Ni l’expression d’Amidala ni son ton neutre ne laissèrent transparaître d’émotion.
— Sénateur Palpatine, nous sommes contents que vous puissiez apprendre cette nouvelle en direct.
— Votre Majesté, dit Palpatine en se plaçant dans le champ des caméras de l’holoprojecteur et en inclinant la tête. Je vais contacter immédiatement les délégués de la Fédération du Commerce et exiger qu’il soit mis fin à ce blocus.
— Exiger risque de ne pas être suffisant pour les faire changer d’avis, Sénateur. Naboo demande que la République intervienne dans cette affaire le plus rapidement possible.
— Et elle le fera, Votre Majesté, répondit Valorum du tac au tac. Je vais convoquer une session extraordinaire... Je vous promets que Naboo aura toute mon attention.
Amidala hocha la tête.
— Vous vous êtes montré très aimable avec nous par le passé, Chancelier Suprême. Nous espérons que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir car vous êtes notre seul espoir.
La transmission s’arrêta brutalement.
— Le complot dont vous parliez semble se dévoiler, observa Palpatine.
Valorum retourna à son bureau et s’assit.
— Je vous donne ma parole, Palpatine, au nom de votre aide pendant la crise du système Yinchorr et de toutes ces années d’amitié : cette situation ne durera pas. Même si mes mains sont liées, je trouverai un moyen de la résoudre.
— Je sais que vous ferez l’impossible, Chancelier Suprême.
Valorum prit une profonde inspiration :
— Un conseil, Palpatine. Soyez prêt à vous retrouver sous les feux des projecteurs.